«Il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour être un nationaliste chrétien»

Le nationalisme chrétien «est un mouvement très étendu». La journaliste Katherine Stewart a pu s’en rendre compte en fréquentant divers rassemblements nationalistes chrétiens, des conférences MAGA («Make America Great Again») aux salons de simples citoyens ou sur les bancs «d’Eglises radicales». Dans une interview accordée le 23 avril au quotidien Le Monde, elle alerte sur ce qu’elle considère être une menace pour la démocratie aux Etats-Unis. Elle partage son analyse dans son ouvrage Money, Lies and God : Inside the Movement to Destroy American Democracy (éd. Bloomsbury; «l’Argent, les mensonges et Dieu: à l’intérieur du mouvement visant à détruire la démocratie américaine», non traduit).
Qu’est-ce que le nationalisme chrétien? «On trouve des gens de profils très différents, des prétendus “apôtres” de Jésus, des milliardaires athées, des théologiens catholiques réactionnaires, des intellectuels pseudo-platoniciens, des opposants à la “gynocratie” qui détestent les femmes, des évangéliques à la tête de réseaux puissants, des pronatalistes, des complotistes du Covid-19…», liste Katherine Stewart. «Ces groupes éclectiques peuvent sembler ne pas avoir grand-chose en commun, mais leur objectif est le même: mettre fin à la démocratie aux Etats-Unis telle que nous la connaissons.»
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Un mouvement plus politique que spirituel
Pour la journaliste, le cadre idéologique principal qui unit ces groupes est le nationalisme chrétien. Mais celui-ci ne relève pas de la spiritualité, assure-t-elle. «Il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour être un nationaliste chrétien et beaucoup de chrétiens patriotes ne veulent rien savoir de ce mouvement.» Elle définit ce nationalisme chrétien comme un état d’esprit politique reposant sur «une vision identitaire de l’Amérique, définie comme une nation fondamentalement chrétienne; la victimisation, qui consiste à prétendre que la discrimination viserait avant tout les chrétiens conservateurs; le catastrophisme et l’autoritarisme». Il s’agit pour elle à la fois d’une idéologie, d’une machine politique et d’un mouvement politique soutenu par des milliardaires apportant la puissance financière, des penseurs qui fournissent l’armature intellectuelle au mouvement et des «sergents», déployés sur le terrain et expliquant aux pasteurs comment amener leurs fidèles à voter «selon les valeurs bibliques».
«Mais les “valeurs bibliques” sur lesquelles ils s’appuient ne sont pas celles du christianisme, telles que beaucoup, sinon la plupart des Américains, l’entendent. Il n’est pas question d’attention portée aux plus humbles ou de l’amour de son prochain. Il s’agit d’interdire tous les avortements à partir du moment de la conception, de revenir sur le mariage homosexuel et d’autres enjeux sociétaux relevant des guerres culturelles, parce qu’ils savent que si vous pouvez amener les gens à voter sur deux ou trois questions-clés, vous pouvez contrôler leur vote», assure Katherine Stewart. Ce mouvement nationaliste chrétien s’est développé selon elle sur le terreau de l’explosion des inégalités. Mais il pourrait se fissurer entre la base, soucieuse des «valeurs familiales» et les bailleurs de fonds peu intéressés par ces enjeux et cherchant à «accroître la concentration massive de la richesse».